Le vent est-il en train de tourner pour l’inamovible Abdelaziz Bouteflika ? Des milliers de personnes sont descendues dans les rues de plusieurs villes du pays, vendredi 22 février, pour protester contre la candidature du président algérien à un cinquième mandat consécutif, alors que le chef de l’Etat, âgé de 81 ans, est malade et quasiment invisible depuis 2013.
Si le gouvernement a renvoyé, lundi, les manifestants au verdict des urnes, le 18 avril prochain, l’ampleur et la nature du mouvement, né sur les réseaux sociaux et rassemblant surtout la jeunesse du pays, sont inédites. En cinq questions, franceinfo explique la situation et en quoi elle peut changer l’avenir du pays.
1- Où les manifestations ont-elles eu lieu et quelle a été leur ampleur ?
La presse algérienne a commencé à faire état de rassemblements spontanés, d’ampleur diverse, dans plusieurs villes d’Algérie, à partir du samedi 16 février, une semaine après l’annonce de la candidature d’Abdelaziz Bouteflika. Plusieurs centaines de personnes s’étaient ainsi réunies à Kherrata, à 300 km à l’est d’Alger. Mardi 19 février, plusieurs centaines de manifestants ont protesté, et décroché une photo géante du président à Khenchela, à 500 km au sud-est de la capitale, après que la mairie a fermé ses portes pour empêcher un candidat de l’opposition, Rachid Nekkaz, de déposer des parrainages d’électeurs. Sur des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux, des supporters de football sont également visibles, dans des stades ou dans la rue, en train d’entonner des chants hostiles à la candidature du président sortant.
Le mouvement a pris une autre ampleur vendredi 22 février. En réponse à plusieurs appels à manifester lancés sur les réseaux sociaux, indépendamment des organisations politiques, des dizaines de milliers d’Algériens sont descendus dans les rues. Une source au sein des services algériens de sécurité évoque, elle, environ 20 000 manifestants recensés dans le pays, dont 5 000 à Alger (aucun chiffre officiel n’a été donné). Mais ce décompte est contesté par les opposants, qui évoquent des centaines de milliers de manifestants. Quarante-et-une personnes ont été arrêtées, mais les manifestants ont défilé sans heurts notables.
Dimanche, une nouvelle manifestation à Alger, cette fois lancée par le collectif d’opposition Mouwatana, a réuni plusieurs centaines de personnes, malgré un important dispositif policier. Des centaines de personnes se sont également réunies à Paris.
Et le mouvement n’est pas fini : après les avocats, lundi, ce sont les étudiants qui sont appelés à manifester mardi. Et une nouvelle mobilisation d’ampleur est attendue vendredi prochain, à deux jours de la date butoir pour le dépot des candidatures à l’élection présidentielle.
2-Que demandent les manifestants ?
La mobilisation est née autour d’un unique mot d’ordre : le refus d’un cinquième mandat d’Abelaziz Bouteflika. Elu sans interruption depuis 1999, ce dernier a annoncé, dans un message à la nation publié le 10 février, qu’il était candidat à sa réélection pour cinq ans. Et ce malgré son âge – 81 ans – et surtout son état de santé, objet de nombreuses questions depuis l’AVC dont il a été victime en 2013. Est-il encore en état de diriger le pays, ou est-ce son entourage qui tire les ficelles ? “Personne ne sait qui fait quoi et qui décide”, résumait la politologue Dalia Ghanem-Yazbeck dans une interview à franceinfo. Dimanche, Abdelaziz Bouteflika s’est rendu à Genève (Suisse) pour un “court séjour”, afin d’y “effectuer ses contrôles médicaux périodiques”.
Vendredi, les manifestants ont défilé aux cris de “Pas de cinquième mandat” et “Ni Bouteflika, ni Saïd”, le frère du président, souvent vu comme son successeur potentiel. Ils ont décroché et piétiné un portrait géant du chef de l’Etat qui trônait sur le siège du Rassemblement national démocratique (RND), parti du Premier ministre Ahmed Ouyahia. Ailleurs dans le pays aussi, la foule a scandé “le peuple veut la chute du régime”.
3-Un tel mouvement est-il inédit ?
Ce n’est pas la première mobilisation populaire à secouer l’Algérie, même si le pays n’avait pas connu un mouvement d’ampleur lors du printemps arabe, en 2011. Mais celle-ci est sans doute la plus importante depuis 1988, estiment les observateurs. “Au niveau national et de cette ampleur, avec cette simultanéité, avec l’usage tout à fait nouveau des réseaux sociaux, je crois que c’est inédit”, estime ainsi Louisa Dris-Aït Hamadouche, professeure de sciences politiques à l’Université Alger 3, interrogée par l’AFP.
“Des manifestations en Algérie, depuis le printemps arabe, il y en a tous les jours, dans tout le pays”, rappelle Pierre Vermeren, professeur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, également cité par l’AFP. “Mais ce sont des manifestations locales, dans des entreprises, dans des universités, dans de petites villes, dans une administration…”
Là, ça prend une ampleur nouvelle parce que c’est dans la capitale, dans beaucoup de villes à la fois, et ça a une dimension nationale, et les objectifs politiques concernent directement la tête de l’Etat.
Une autre particularité de ce mouvement est le profil des manifestants : c’est largement la jeunesse algérienne qui est descendue dans la rue. La colère émane “majoritairement de très jeunes gens qui sont concernés parce qu’ils ne voient aucune perspective”, et qui sont “les premiers qui tentent de trouver un avenir meilleur, notamment en Europe”, explique à franceinfo Kader Abderrahim, chercheur à l’Iris. Une génération qui n’a connu qu’Abdelaziz Bouteflika au pouvoir, et qui n’est pas proche des partis d’opposition. “D’après les études, les jeunes ne sont ni militants ni partisans, seuls 1% des jeunes Algériens sont membres d’un parti politique”, rappelle Louisa Dris-Aït Hamadouche. Des partis d’opposition ont indiqué “soutenir” les marches, mais aucun des principaux partis ou syndicats n’en est à l’origine ou n’a appelé ouvertement à y prendre part.
4- Quelle est la réponse du pouvoir ?
Jusqu’ici, les manifestations se sont déroulées de façon pacifique. Aucun incident notable n’a été signalé, si ce n’est quelques jets de pierres, vendredi à Alger, en réplique à l’utilisation par les policiers de gaz lacrymogènes quand certains manifestants ont tenté de se diriger vers la présidence de la République. Dans la capitale, le rassemblement a pu se tenir alors que les manifestations y sont interdites depuis 2001, et sont habituellement rapidement contenues. Dimanche, un important dispositif de sécurité avait été déployé et les policiers ont tenté d’empêcher le rassemblement, mais les centaines de protestataires ont réussi à tenir la rue pendant plusieurs heures.
Le faible nombre d’arrestations vendredi – 41 dans tout le pays – semble confirmer que la police a largement toléré ces marches.”Il y a sans doute eu des instructions pour éviter toute escalade”, estime Louisa Dris-Aït Hamadouche dans son interview à l’AFP. Une répression violente nuirait “à l’image d’un Etat stable que veut donner l’Algérie, et […] le pouvoir a conscience que la violence engendre la violence”.
Lundi, le Premier ministre Ahmed Ouyahia a répondu publiquement aux manifestants, en les appelant à contester le pouvoir lors de l’élection plutôt que dans la rue : “Chacun a le droit de défendre son candidat et d’être contre tout autre candidat, les urnes trancheront de manière pacifique et civilisée”, a-t-il déclaré. Il a rappelé qu’Abdelaziz Bouteflika a promis d’organiser, s’il est élu, une conférence “ouverte à tous” et où il serait débattu “de tout”.
Ahmed Ouyahia a cependant agité le spectre de la guerre civile entre le pouvoir et des groupes armés islamistes, qui avait ensanglanté le pays entre 1992 et 2002, appelant “à la vigilance de tous” envers des appels à manifester “d’origine inconnue”.
Par ailleurs, les médias publics mais aussi les chaînes de télévision privées ont passé sous silence les manifestations. Dimanche 24 février, des journalistes de la radio nationale algérienne ont dénoncé ce silence décidé par leur hiérarchie. Une rédactrice en chef avait démissionné, la veille, en marque de protestation.
5- La contestation peut-elle faire renoncer Bouteflika ?
En affirmant que “les urnes trancheront”, le Premier ministre a semblé écarter une réponse du pouvoir à la revendication principale des manifestants : le retrait de la candidature du président sortant. Cependant, certains observateurs estiment que la mobilisation change la donne. “Autant le cinquième mandat ne faisait pas de doute il y a quelques semaines, autant il apparaît désormais plus incertain”, explique ainsi Louisa Dris-Aït Hamadouche, pour qui “soit le pouvoir impose le cinquième mandat malgré la contestation, soit il trouve un compromis pour permettre au chef de l’Etat de renoncer pour des raisons de santé”.
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