AFP- Le Parlement libanais a de fait retardé vendredi tout progrès dans l’enquête sur l’explosion meurtrière au port de Beyrouth, une commission conjointe réclamant des “preuves” à la justice avant une décision sur une potentielle levée de l’immunité parlementaire de trois anciens ministres.
La gigantesque déflagration du 4 août 2020 a fait plus de 200 morts et 6.500 blessés, dévastant la moitié de la capitale. Elle a été déclenchée par un incendie dans un entrepôt qui abritait des tonnes de nitrate d’ammonium stockées “sans mesures de précaution” de l’aveu même des autorités.
Début juillet, le juge d’instruction chargé de l’enquête, Tarek Bitar, a demandé au Parlement la levée de l’immunité parlementaire de trois députés qui ont occupé des postes de ministres: Ali Hassan Khalil (Finances), Ghazi Zaayter (Travaux publics et Transport) et Nouhad al-Machnouk (Intérieur).
Cette demande a été formulée “en vue de les inculper et d’intenter des poursuites pour potentielle intention d’homicide” mais aussi pour “négligence et manquements”, a expliqué le juge.
Vendredi, le bureau du Parlement et la commission de la justice, réunis chez le président du Parlement Nabih Berri, ont jugé “nécessaire de demander un résumé des preuves rapportées dans l’enquête, ainsi que tous les documents et les papiers qui incriminent” les trois députés, a annoncé dans une allocution Elie Ferzli, adjoint de M. Berri.
Une autre réunion se tiendra “une fois que nous aurons reçu la réponse requise”, a-t-il ajouté. La commission conjointe pourra alors préparer son rapport, qui permettra au Parlement de voter en séance plénière sur la levée de l’immunité.
Tergiversation “honteuse” –
Cette requête est “une atteinte à la séparation des pouvoirs”, a estimé l’avocat et militant Nizar Saghieh. “Ils essayent de gagner du temps (…) de nous faire entrer dans des procédures et des détails techniques”, a-t-il ajouté.
Sur les réseaux sociaux, le mot-dièse en arabe #àbaslesimmunités a circulé, tandis que des familles des victimes de l’explosion ont manifesté près de la résidence de M. Berri, où elles ont été bousculées par les forces de l’ordre.
“Il faut une levée immédiate des immunités”, a fustigé Ibrahim Hteit, porte-parole d’une association de familles de victimes, qui a lui-même perdu son frère, estimant que toute tergiversation du Parlement était “honteuse, compte tenu de l’ampleur du crime”.
Les manifestants se sont aussi rendus devant le ministère de l’Intérieur, réagissant à des informations de presse selon lesquelles le ministre Mohamed Fahmi aurait refusé d’autoriser des poursuites contre l’influent directeur général de la Sûreté générale, Abbas Ibrahim.
Le ministre n’a pas communiqué sur la question. Le général Ibrahim a pour sa part déclaré dans un communiqué “ne pas être au dessus de la loi”, mais appelé à éviter “les calculs et les investissements politiques”.
Le Premier ministre Hassan Diab a été inculpé et convoqué pour un interrogatoire. Il continue de gérer les affaires courantes près d’un an après sa démission dans la foulée de l’explosion, les partis politiques n’ayant toujours pas réussi à former un gouvernement.
Mi-juin, une cinquantaine d’ONG, dont Amnesty et Human Rights Watch, avaient réclamé une enquête de l’ONU sur l’explosion, justifiant leur requête en citant “des ingérences politiques flagrantes, l’immunité des hauts responsables politiques, le manque de respect des normes d’un procès équitable et des violations de la procédure régulière”.
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